“I dit it my way”, ép 1 : Aurian de Maupeou, cofondateur de Selectra
Parce que les routes menant au succès sont nombreuses -et sinueuses- nous avons voulu mettre en avant le succès entrepreneurial sous toutes ses formes. C’est en ce sens que Collective a pensé la série “I dit it my way”. En ne s’enfermant ni dans un paradigme de levée de fonds licornienne, ni dans une ode au boostrapping, cette série a vocation à aider le lecteur à se forger sa propre vision d’une boîte qui marche.
Pour ce premier épisode, nous vous proposons de découvrir le parcours singulier d’Aurian de Maupeou, co-fondateur de Selectra, une entreprise fondée en 2007, affichant un chiffre d’affaires de 75 millions d’euros en 2021. En plus d’être un comparateur d’offres énergétiques fort utile, Selectra fait aussi figure d’ovni parmi le classement de la French Tech 120. En effet, ce minotaure à la croisée entre une PME et une startup n’a jamais levé de fonds et a pourtant figuré parmi les “champions de la croissance” plusieurs fois au cours des dernières années. Presque un oxymore, à une époque où une majorité de startups jaugent leur potentiel de croissance par rapport au montant qu’elles réussiront à lever.
Alors sit back, relax et délectez-vous des paroles de ce champion de la croissance qui, malgré les offres d’investissement, trace sa route en solitaire.
I) La genèse
La comparaison d’offres énergétiques n’est généralement pas la préoccupation des étudiants en début de vingtaine. Pourquoi vous être intéressé à ce secteur ?
Aurian de Maupeou : La libéralisation du marché de l’électricité pour les particuliers allait intervenir au moment où nous cherchions un marché. Nous ne réalisions pas, alors, l’importance de ce secteur dans l’économie et dans la transition énergétique qui débutait. Un pari gagnant donc.
Sciences Po n’est pas l’école à laquelle on pense quand on souhaite entreprendre. Comment votre passage par leur incubateur a façonné (ou non) le futur de la boîte ?
Aurian de Maupeou : C’est une école où l’on apprend à écrire… et notre métier, le SEO, était avant tout affaire d’écriture. Il y avait donc un lien avec Sciences Po. Toutefois, en avançant sur des sujets de plus en plus techniques ou business, nous nous en sommes éloignés. Plus tard, avec l’internationalisation ou les enjeux juridiques, nos cours de langue, de business international ou de droit nous ont également servi.
Au-delà des cours, l’incubateur a été le déclencheur qui a transformé notre projet étudiant en employeur. C’est l’incubateur qui nous a donné des bureaux, qui nous a permis de réaliser un changement de dimension et d’effectuer des embauches.
II) Takeoff
Quand avez-vous su que vous teniez quelque chose ? La croissance était soudaine ou incrémentale ?
Aurian de Maupeou : À l’hiver 2010-2011, j’ai commencé à vendre des contrats d’énergie par téléphone aux visiteurs de notre site. Ce canal a soudain multiplié notre chiffre d’affaires par 10. En juin 2011, on a dû faire 80000 € de profit mensuel. Là, on a su qu’on tenait un truc.
Pourquoi choisir l’Espagne comme premier marché international ?
Aurian de Maupeou : L’occasion a fait le larron, et cette occasion c’était deux amis espagnols qui voulaient entreprendre et cherchaient une idée. On les a formés à notre métier, et ils ont répliqué le business modèle avec une aisance impressionnante. Je pense que le marché espagnol est l’un des plus faciles d’accès pour les entreprises françaises. L’Allemagne, le Royaume-Uni et les Pays-Bas sont trop concurrentiels, la Belgique et la Suisse trop petits et trop multilingues. En Italie, les obstacles administratifs sont décourageants. En Espagne, la taille du marché est bonne, la concurrence raisonnable, le recrutement simple et l’administration efficace.
III) Le X-factor Selectra
Pourquoi cette aversion à lever des fonds ? Jamais eu besoin ou envie d’indépendance ?
Aurian de Maupeou : Jamais eu besoin effectivement. On a réussi à embaucher et à croître au début en ne se versant pas de salaire pendant les trois premières années. Nos premières “embauches” se constituaient de stagiaires et notre premier vrai CDI était un commercial, qui a fini par ramener plus d’argent qu’il ne nous coûtait. Donc de fil en aiguille, on a réussi à considérablement augmenter nos rangs sans avoir besoin de lever.
On garde la cartouche levée de fonds pour quand on en aura vraiment besoin. Pour moi, cela arrivera quand la concurrence sera trop forte, et qu’on aura besoin de fonds pour rester compétitifs. Ce n’est pas le cas pour le moment. Pour l’instant, nous sommes fiers de notre indépendance, de nous être bâtis seuls et de ne pas changer d’actionnaire tous les 5 ans.
Vous employez énormément de personnel. Pourquoi, et quelles parties de la boîte représentent les plus grands effectifs ?
Aurian de Maupeou : Selectra, c’est des sites web qui génèrent des appels que des commerciaux transforment en ventes. Nous avons donc une grosse centaine de personnes qui travaillent sur le contenu des sites web, et plus de mille qui travaillent à l’accompagnement téléphonique des clients qui nous appellent. Notons ici que le call center est largement internalisé et est un vivier formidable de talents pour les autres métiers. Même si le coût initial est peut-être un peu plus élevé, internaliser ses talents devient largement rentable sur le long terme. En effet, en plus de créer une équipe vraiment soudée et unique, on réussit à garantir une vraie qualité de service.
IV) Founder thoughts
Vous faîtes partie de la French Tech 120. Vous vous considérez comme une startup ou une PME qui a beaucoup crû ?
Aurian de Maupeou : Nous sommes une entreprise de taille intermédiaire qui croit encore être une startup. Nous remettons toujours en question nos pratiques et les habitudes du marché et générons une croissance importante. Toutefois, avec la taille que nous avons atteinte, nous avons dû mettre en place des process qui structurent l’entreprise… comme une grande entreprise. Même si notre croissance fait que nous devons mettre en place de plus en plus de ce genre de process, le fait est que ça ralentit la vélocité avec laquelle nous sommes habitués à fonctionner. Malheureusement, c’est inévitable et ça fait simplement partie du cycle de vie d’une entreprise qui marche.
Comment expliquez-vous l’obsession des startups avec la levée de fonds ? Quelle est votre vision du monde VC ?
Aurian de Maupeou : Les levées de fonds ont eu de tels succès dans la Silicon Valley que l’obsession des startups à reproduire le modèle n’est pas étonnante. Les taux bas des dernières années et le soutien de l’Etat ont aussi beaucoup joué sur l’engouement français pour les startups. Personnellement, j’ignore tout des VC. Je les vois de loin vendre leur salade sur LinkedIn comme tout le monde !
Pour ma part, j’attends de voir la correction du marché. Je pense que les investissements et les valorisations ont surchauffé au cours de cette dernière année, et je pense qu’on voit déjà s’esquisser le début d’un retour à l’équilibre, avec notamment la forte baisse des investissements récemment.
La French Tech a explosé au cours de la dernière décennie. L’influx d’argent y est pour beaucoup. Selon vous, sur quelles bases un founder de startup devrait choisir, ou non, de lever des fonds ?
Aurian de Maupeou : Il y a 7 ans, Florian Fournier, fondateur de Payfit, est venu me voir à propos de lever des fonds, et je lui ai dit de ne pas lever, que ça ne servait à rien et qu’il pouvait s’en passer. Il ne m’a pas écouté et grand bien lui en a pris ! Ma recette “Ne levez pas de fonds si vous pouvez” ne vaut donc pas grand-chose.
Toute blague à part, je pense que la nécessité de la levée de fonds est corrélée à la performance de vos compétiteurs. Je ne dis pas que lever plus constitue une garantie de succès, mais mathématiquement si votre compétiteur direct lève, vous aurez beaucoup plus de mal à suivre. Lever peut aussi être une nécessité pour des startups qui opèrent dans des secteurs dits “capital-intensive”, tel le hardware par exemple.
V) My way
Quel est, pour vous, un “succès” entrepreneurial ?
Aurian de Maupeou : Une équipe soudée autour d’une entreprise rentable, un produit/service que les clients aiment et des externalités positives sur la société. Dans le cas de Selectra, nous sommes fiers de diffuser du contenu utile et gratuit sur internet, consulté près de 300 millions de fois par an alors qu’en réalité seulement 2% de nos pages nous rapportent de l’argent. De plus, on met vraiment l’accent sur l’embauche et la formation en interne de personnes jeunes, ce qui représente une vraie source de fierté pour moi et toute l’équipe.
Interview par Timothy Motte, éditée par Paulina Jonquères d'Oriola