L’entrepreneuriat après McKinsey, c’est tricher ?
De prime abord, notre CEO coche toutes les cases du premier de la classe. Passé par HEC et McKinsey, Jean de Rauglaudre a fini par se tourner vers l’entrepreneuriat, comme nombre de ses comparses, empruntant l’autoroute du succès tracée par les Grandes Écoles.
Alors que le second tour de la présidentielle a vu s’opposer la France qui caracole (coucou la startup nation), à celle qui s’affole face à la flambée du gasoil (hello Vlad), le clivage entre ces deux mondes ne semble jamais avoir été aussi fort.
Mais alors, la trajectoire de Jean n’est-elle que pur déterminisme ? De quels avantages a-t-il pu bénéficier au démarrage de son entreprise ? À l’inverse, quels sont ses angles morts et comment parvient-il à les dépasser pour monter une entreprise vraiment inclusive ? Voilà ce que notre auteur du jour nous livre dans ce premier article de notre série “Inside Collective”.
L’élitisme : hasard ou déterminisme ?
On m’a très récemment dit “Toi, tu fais partie de la classe : HEC, McKinsey, Uber, Entrepreneur”. Objectivement, ce n’est pas complètement faux (3/4, si Uber avait été la SNCF ou Kerala Ventures). Une réalité qui donne le vertige et renvoie à des questions plus profondes de libre-arbitre.
Avec du recul, j’ai l’impression que les événements se sont orchestrés de manière relativement opportuniste et presque aléatoire. Au départ, les orientations professionnelles et académiques reposent sur des rencontres inspirantes, un peu d’instinct et de mimétisme... mais il n’y a souvent pas de plan pré-établi.
A titre d’exemple, j’ai longtemps songé être musicien, militaire ou ingénieur. J’avais sur ma liste APB des classes prépa et écoles de commerce, mais aussi des prépa littéraires et la faculté de Toulon. Mes parents s’en souviendront, il n’y avait que peu de consistance dans ma réflexion.
“Toi, tu fais partie de la classe : HEC, McKinsey, Uber, Entrepreneur”.
Pour autant, plus on opère des choix, plus le périmètre de ces derniers s’amenuise. Si je grossis le trait, on choisit ses études, qui nous rendent éligible à des métiers... Puis une fois le métier choisi, on se dirige vers l’entreprise qui fonctionne bien, jusqu’à finalement transiger sur le choix des missions.
Avec de la bonne volonté, une personnalité besogneuse (il n’y a rien sans ça), des facilités et un peu -voire beaucoup- de chance (tomber sur LE sujet ou cas pratique qui nous inspire), on finit par tomber dans la case : “HEC, McKinsey, Uber”.
Au début, on se dit “cool, ça m’ouvre toutes les portes”. Mais si on suit mon raisonnement, beaucoup de portes sont déjà condamnées, et il reste en réalité quelques grandes arches : le private equity, les directions stratégiques, ou l’entrepreneuriat.
L’entrepreneuriat après McKinsey : conformisme ou liberté retrouvée ?
Pour ma part, l’entrepreneuriat a toujours été en ligne de mire dans la construction de mon parcours. Avant de penser startup, je faisais mes petites affaires en jouant du piano ou même de l’orgue (ceci n’est pas un fake), je troquais ou vendais facilement des objets…
Et puis, assez vite, et assez naturellement aussi, je me suis tourné vers les startups et l’entrepreneuriat. J’ai choisi de concentrer mes stages en startup, en VC, j’ai fait un petit saut à l’école 42 et j’ai opté pour une spécialisation autour de l’innovation (avec une alternance à la SNCF sur un projet innovant, oui, oui, il en existe).
En sortant de l’école, la question d’entreprendre s’est naturellement posée et les conseils glanés à ce moment-là convergeaient presque tous vers l’idée de passer 2-3 ans en conseil (c’était il y a 5 ans, d’autres options seraient également à considérer aujourd’hui).
C’est dans cette optique que je me suis mis en route vers le conseil, et notamment McKinsey, où je suis resté pendant 2,5 ans. Cela va sans dire que l'actualité du cabinet est suffisamment couverte ces temps-ci… inutile de trop m’attarder sur cette page, que je ne regrette absolument pas. Ce dont je me souviens, c’est que cela a été dur (sur le plan du rythme notamment), mais riche d’apprentissages et d’expériences.
En quittant McKinsey pour entreprendre, j’ai tout de suite pensé que je repartais de zéro
En quittant McKinsey pour entreprendre, j’ai tout de suite pensé que je repartais de zéro. Il y avait un côté extrêmement grisant de faire peau neuve. Mais c’était aussi, je dois le concéder, un peu flippant.
Ce qui semblait sûr à ce moment-là, c’est qu’en devenant entrepreneur, je sortais d’un schéma déterminé pour reconquérir la liberté de l’enfant qui avait rêvé d’être musicien, militaire ou ingénieur. Du moins, c’est ce que je pensais.
Car il existe certes une indéniable liberté à choisir ses clients (à supposer que l’on puisse vraiment le faire), ses recrues, sa culture d’entreprise, son logo, son nom, la couleur de son site... mais on ne choisit pas son histoire.
On reste finalement contraint d’en tirer le meilleur profit : s’appuyer sur les réseaux d’école pour recruter et trouver des investisseurs, soudoyer d’anciens “McKinsey” pour qu’ils jouent le rôle de client test etc. À défaut d’avoir un fond de commerce, un produit, des actifs, au début, on a juste ce petit bout d’histoire auquel on se raccroche fermement.
"Il faut savoir reconnaître les unfair advantages"
Quand on sort de McKinsey et HEC, on bénéficie donc de quelques traitements de faveur qu’il faut savoir reconnaître (les fameux “unfair advantages”). Par exemple, on intéresse plus facilement les investisseurs qui bien souvent viennent du même sérail. On accède plus aisément à des dirigeants, issus du même giron, on rassure peut-être les candidats à défaut d’avoir un produit et des clients.
Néanmoins, ce centre de formation ne donne pas toutes les cartes ; il y a quelques angles morts à combler sur le terrain. Les deux principaux touchent au management et au recrutement, qui sont deux disciplines auxquelles McKinsey ne prépare que partiellement.
Dans ce type d’organisation, on prend justement l’habitude de recruter et manager des gens qui nous ressemblent. Travailler avec des consultants velléitaires, ambitieux et issus des meilleures formations... ce n’est pas la vraie vie.
Comment ne pas créer une entreprise de clones ?
Au bout du compte, je dois dire que je ne me suis jamais senti aussi libre que depuis les débuts de Collective.work, mais c’est une liberté qui s’apprécie différemment. Ce n’est pas la liberté de devenir une autre personne, car on ne change pas, on ne sort pas d’un schéma, on le prolonge.
C’est la liberté de construire, de créer... et l’essentiel se joue dans le recrutement et la construction d’une équipe, deux sujets intimement liés à la culture et aux valeurs dont l’équipe est la première incarnation.
L’idée même de Collective a toujours été la réponse à ces questions d’identité et de modèle (notre personnalité de fondateurs jouant sans doute un peu aussi dans l’équation) : Collective.work se donne pour mission de faciliter (à travers un produit logiciel) la collaboration d’indépendants et freelances, pour qu’ils puissent se professionnaliser et se positionner face aux entreprises de service traditionnelles tout en restant indépendants.
Nous appelons cela des “collectifs d’indépendants”, et nous pensons qu’ils dessinent l’entreprise de demain.
Notre culture d’entreprise doit naturellement être en adéquation avec le format du collectif, dont la force naturelle s’explique par la combinaison ingénieuse de talents, personnalités et compétences complémentaires, au profit d’équipes pluridisciplinaires et polyvalentes. En ce sens, un collectif d’une seule et unique personnalité, compétence... ça n’a pas beaucoup d’intérêt.
Le tout est plus que la somme de ses parties - Aristote
Comme nous souhaitons permettre aux indépendants de combiner le professionnalisme d’une entreprise de service tout en restant libres et indépendants (choix des missions, coéquipiers, possibilité d’être dans plusieurs collectifs…), nous mettons un point d’honneur à casser les codes de l’industrie de service, à l’oeuvre dans les cabinets de conseil.
Je suis tout à fait à l’aise pour dire qu’on s’est toujours évertués à chercher la diversité et la différence, en ce qu’elle est le fondement de notre vision du travail. Et c’est un défi permanent, car beaucoup de biais et mauvais réflexes peuvent entrer en jeu :
On recrute plus naturellement les gens de son réseau
Les candidats qui viennent à nous ou qu’on sollicite par recommandation, sont des gens qui nous voient, qui nous entendent ou souvent qui nous connaissent. Une chose est sûre : le réseau a son importance. Le problème du réseau, c’est qu’il est par définition fermé ou restreint.
On a plus de facilités à évaluer quelqu’un qui nous ressemble
Je serais sûrement mieux placé pour évaluer quelqu’un de la classe “HEC, McKinsey, Uber, Entrepreneur” qu’un designer créatif. Pourtant, nous avons actuellement beaucoup plus besoin du second.
On pense (à tort) pouvoir mieux travailler avec les gens qui ont les mêmes repères
Soyons francs, ce n’est pas entièrement faux (en tout cas au début). Néanmoins, il faut se faire un peu violence, car toute la force d’une entreprise est d’avoir les meilleures personnes aux différents endroits et absolument pas une équipe de clones.
Collective souffle son premier printemps, et compte déjà 25 collaborateurs. Parmi eux, un Argentin, un Polonais, des origines géographiques éclectiques (même en France). On parle désormais (majoritairement) anglais... On y retrouve d’anciens freelances, des métiers complémentaires... mais surtout des personnalités très différentes.
Alors, si je devais extraire de cette introspection quelconque réflexion collective, c’est que l’on trouve une plus grande liberté à s’entourer de talents différents, que de chercher seul à s’affranchir de ses propres déterminismes !
Article édité par Paulina Jonquères d'Oriola et Rémi Lauer