Le collectif pour combattre la solitude du freelancing
Rrrrrr… fait le freelance ermite en apercevant son profil hirsute dans le reflet de son ordinateur.
Trêve de plaisanterie : tous les freelances ne vivent pas loin de la civilisation, bien évidemment. Mais la solitude peut faire partie des effets néfastes de ce type d’organisation. D’ailleurs, 24% des freelances s’en plaignaient déjà en 2021 selon un sondage Ipsos. Et pour cause, l’homo freelancus, comme tout homo modernus, aime à vivre et travailler en société. C’est un animal social.
Le freelance n’a donc pas vocation à rester reclus dans la pénombre de sa caverne. Il lui appartient, comme le suggère la célèbre allégorie de Platon, de sortir de sa solitude souterraine et partir à la rencontre du monde. L’essence même du freelancing ne se cache-t-elle pas dans cette quête de découverte et de liberté ?
Alors pour en finir, une fois pour toute, avec la solitude du freelancing, voici comment sortir de sa tanière solitaire et rejoindre la communauté.
En route, mauvaise troupe !
Le freelance est-il un loup solitaire ?
« Indépendant », « solopreneur », « à son compte », « freelance »… Pas de doute, jusque dans le vocabulaire qui le désigne, le freelance est pétri par la solitude. On dit d’ailleurs de lui qu’il est autonome, libre et solitaire. Habitué à chasser seul ses prospects et à travailler sur des missions en solo, il renvoie l’image de se suffire à lui-même.
Le freelance, comme l’entrepreneur, aurait-il donc une prédisposition à la solitude ? A priori oui. Cependant, selon une étude Bpifrance Le Lab réalisée en 2016, si « la solitude est certainement inhérente à la fonction de dirigeant, le sentiment d’isolement ne l’est pas. » Or, précise cette étude, dans les faits, 45% des entrepreneurs se sentent isolés.
Pour Marc Halévy, physicien et philosophe interrogé dans cette enquête, « la solitude n’est pas négative : elle est un moment de ressourcement de soi, en soi et par soi […]. En revanche, l’isolement est une solitude contrainte, subie, imposée ; elle est un désir de fraternité, d’interdépendance, de reliance ou de partage qui est refusée par les circonstances, par le monde, par les faits. »
Cet isolement peut avoir un impact sur le moral du freelance, sur sa motivation, sa productivité et la qualité de son travail. Poussé à son paroxysme, l’isolement social peut même conduire à l’épuisement professionnel ou au burn out.
Alors, loup solitaire ou agneau isolé ? Le freelance est un peu des deux, semble-t-il. Son aptitude naturelle à affronter la solitude ne le rend pas nécessairement insensible aux autres. Il a, comme tout être humain, ce besoin physiologique de se mêler au groupe, de rejoindre la horde, pour y puiser sa force et son inspiration.
Le freelance (aussi) est un animal social
Certes, le freelance dispose de cette tendance naturelle à la solitude. Pour autant, il ne ressemble en rien à un ermite qui vit reclus dans sa grotte. Pour Sabine Bataille, sociologue du travail, le freelance n’est pas un travailleur hors système. « Dès le moment où il crée son entreprise ou sa microentreprise, il entre dans le système, il crée de la valeur », explique-t-elle.
Alors d’où lui vient ce cliché de personnage marginal, cloitré chez lui en pyjama pilou-pilou ? « L’image sociale du freelance est peu valorisée, reconnaît la sociologue. Pourtant, c’est un expert qui apporte de la valeur à ses clients. À l’inverse, l’entrepreneur bénéficie d’une image ‘’shining’’. Celle d’un meneur d’hommes et de projets, capable d’embarquer les autres et de s’entourer des bonnes personnes. Mais, là aussi, cette image narcissique n’est pas toujours facile à porter. ‘’Freelance’’ ou ‘’entrepreneur’’, on utilise plusieurs mots pour parler de la même chose : une personne qui crée des projets et de la valeur. C’est intéressant de savoir comment on se qualifie soi-même. Freelance ou entrepreneur, au fond ce n’est qu’une question de caractère. »
À l’image des insectes (abeilles, fourmis) et des mammifères (singes, éléphants), le freelance développe des comportements fondamentaux (alimentation, reproduction, survie) qui impliquent la présence et la participation de ses congénères. Lui-aussi a besoin de vivre en communauté.
« Le freelance s’immisce dans un contexte social, affirme Sabine Bataille. Nous sommes tous interdépendants. Comme tout être humain, il a besoin d’interactions sociales productives et non productives. »
À cet égard, la sociologue distingue le besoin d’intégration utilitaire, qui conduit le freelance à rechercher des interactions sociales utiles et productives à son travail, du besoin d’intégration d’appartenance, qui peut le conduire à rechercher la cohésion sociale et un sentiment d’appartenance.
« Le freelance peut se passer temporairement de la seconde pour ne développer que des interactions utilitaires, remarque-t-elle, mais il arrive un moment où le sentiment d’appartenance vient à manquer. » Un appel auquel il ne faut pas résister si l’on en croit cette spécialiste, car « si un problème survient et qu’on est isolé, il n’y a pas de parachute. La désocialisation est risquée ».
Freelance, vas-tu sortir de ta grotte ?
La solitude, le freelance s’en accommode. Mais quand l’isolement frappe à la porte, alors il faut sortir de sa grotte et prendre ses jambes à son cou ! Pour favoriser son intégration au monde, il dispose de nombreux moyens :
- Travailler dans un espace de coworking qui lui permettra de rencontrer d’autres freelances et de retrouver un sentiment de cohésion.
- Réseauter en ligne ou dans un café, pour rencontrer des profils inspirants et connectés.
- Participer à des évènements (meetup, conférences, workshop, webinaires, coaching et formations) pour partager et échanger avec d’autres freelances.
- Rejoindre une communauté virtuelle de travailleurs freelances pour s’entraider et échanger les bonnes pratiques.
- S’investir dans sa vie sociale personnelle, sortir et rencontrer du monde sur son temps libre
Depuis quelque temps, on assiste à l’émergence d’un nouveau phénomène. De plus en plus nombreux sont les freelances qui ne veulent plus travailler seuls et décident de se regrouper en collectif. Une solution qui leur permet de recréer de la cohésion sociale, de démultiplier leur force et, surtout, de rompre avec l’isolement.
De solo au troupeau : la force du collectif !
Ce n’est pas anodin si l’on assiste à un boom des collectifs. Seul et isolé, le freelance est plus fragile et vulnérable. À l’inverse, à plusieurs, tout devient possible. C’est bien connu, « l’union fait la force ». Le collectif permet de faire corps, d’être plus forts ensembles et de satisfaire tant son besoin d’intégration utilitaire que d’appartenance.
L’union fait la force…
Lorsqu’il est seul, le freelance est plus exposé. Concurrence, rapports de force avec ses clients, respect de ses droits… à plusieurs, le freelance a plus de chances de se faire entendre. « L’homme est un loup pour l’homme » disait le latiniste Hobbes. À l’image de ce prédateur animal qui se réunit en meute pour se protéger, le freelance aussi doit s’unir pour survivre.
La force, voilà le premier avantage du collectif. Un argument en faveur de ce fameux besoin d’intégration utilitaire. Car, rien n’est plus utile que de renforcer sa visibilité, son réseau, son portefeuille de clients et le développement de son activité. Parler d’une seule voix permet de peser plus lourd dans le débat, mais également sur le marché où la concurrence est rude.
Une force dont Eliot, membre du collectif ‘’Expansion’’, spécialistes de growth hacking, est intimement convaincu. « C’est la principale proposition de valeur du collectif de freelances, explique-t-il. À plusieurs, on attire à soi des clients qu’on n’aurait pas eu tout seul. La complémentarité de nos talents et compétences nous permet de décrocher de gros contrats et de fournir des prestations de meilleure qualité. »
Plus on est de fous, plus on rit…
« Pour ne pas vivre seul, On se fait des amis, Et on les réunit, Quand vient les soirs d’ennui », chante Dalida. Voilà le deuxième atout phare du collectif : se faire des amis, pour tuer l’ennui. Car, si on se surprend parfois à broyer du noir seul devant son écran noir, nul doute qu’à plusieurs cela n’arrive pas. C’est l’ambition du collectif de freelances : retrouver l’ambiance des discussions de collègues à la machine à café et des after works endiablés.
« Plus on est de fous, plus on rit » dit le dicton. Et c’est bien vrai ! Un argument qui satisfera le besoin d’intégration d’appartenance. Car, en collectif, le freelance aura le sentiment de faire pleinement partie d’un groupe.
C’est ce qu’a constaté Guillaume, fondateur du collectif Neodelta, à qui il « manquait d'avoir des collègues, de partager (ses) idées et de (se) faire challenger ». Lui qui se dit de nature solitaire, a trouvé dans le collectif de freelances « un cadre dynamique, plus motivant, avec des échanges qui stimulent la curiosité. »
Pour Eliot, membre du collectif Expansion, « c’est bien moins agréable de travailler seul. Dans notre collectif, on s’entend bien, il y a de vrais contacts humains et une dimension émotionnelle. » La convivialité est au rendez-vous, mais pas seulement… « C’est aussi challengeant parce que ça implique de composer avec chacun et de lâcher prise, à plusieurs on est obligé de perdre un peu le contrôle », conclut-il.
Ensemble on va plus loin…
Enfin, à plusieurs, il est plus facile de garder le moral des troupes. On s’inspire, on s’entraine et on s’entraide les uns les autres. Voilà comment résumer en une seule phrase l’essence du concept d’intelligence collective.
Du collectif naît l’intelligence collective. Elle repose sur cinq compétences, les « 5C » que sont : la créativité, la compassion, la collaboration, la communication et la réflexion collective. Doté de ces compétences, le collectif permet à chacun de ses membres de coopérer et de résoudre des problèmes plus efficacement.
Un constat qu’approuve Guillaume, du collectif Neodelta, pour qui la création du collectif « a permis de multiplier les compétences, et de proposer de nouvelles offres de services, cohérentes entre elles, que l'on peut assumer à plusieurs. En restant chacun de notre côté, cela aurait été impensable. »
Rrrrr… fait le freelance lorsqu’il rejoint un collectif. Mais cette fois, c’est de plaisir. En collectif, il ne se sent plus isolé. Ses besoins d’intégration utilitaire et d’appartenance sont pleinement satisfaits. Alors n’hésitez pas à entrer dans la danse en rejoignant un collectif. Cela ne vous empêchera pas de vous offrir vos moments de solitude en conservant votre activité en solo si vous le désirez. Le collectif, c’est la liberté !
Article édité par Paulina Jonquères d'Oriola